Colette, en passant
On ne parlait pas de Colette lorsque j’étais plus jeune. Ou alors on en parlait peu, ou mal.
C’était une de ces « autrices » ou « auteurs femmes » (selon les préférences - ou les idéologies) qui avaient publié et qui avaient même compté !
À ce titre, elle faisait partie de ce groupe de femmes de lettres à « connaître ». Madame de la Fayette en tête de file, cette dernière, elle, avait d’ailleurs le privilège d’être étudiée au lycée, imaginez cela..
Certains professeurs de français poussaient l’audace jusqu’à mentionner Madame de Sévigné ou la Comtesse de Segur, mais Colette, elle, n’avait droit qu’à quelques mentions, dont je me souviens à peine. À vrai dire, je ne saurais même dire si son nom a été mentionné la première fois en ma présence à l’université ou bien si une professeure de français de première ou de terminale l’avait évoquée.
Mais si cela avait été fait, cela avait été en vitesse, en passant. Pas assez longtemps, pas assez souvent pour me donner envie de découvrir ses textes.
Je savais qu’elle existait, qu’elle écrivait, qu’elle avait un tant soit peu compté dans l’Histoire littéraire française puisqu’on m’en avait parlé (après tout, on ne parle que de ce qui compte en cours de français… ) mais je ne savais rien de plus, n’avais d’ailleurs pas cherché à en savoir plus.
Je la découvre alors à 31 ans, la main quelque peu forcée par l’inauguration d’une importante exposition à la BNF consacrée à Colette.
Je dis « main forcée » car les livres étaient là, sur mon étagère, et ils prenaient la poussière.
Au point de ne pas me souvenir des titres en ma possession.
Alors je lève le regard, cherche son nom dans ma bibliothèque et prend Le blé en herbe
Je me dis : « 128 pages, ça va être sympa et vite lu »
Ça n’a été ni sympa ni vite lu.
Comment parler de la prose de Colette ?
La manière dont elle dit la nature, les sentiments. La manière dont l’un dévoile l’autre et vice versa.
La nature reine et racontée, mais pas comme les Romantiques le faisaient. Autrement, à la maniere Colette.
La fougue, la fureur du sentiment amoureux.
Les hésitations et la nervosité aussi.
Un filet qui emprisonne des crevettes devient la plus belle chose au monde
Et à la ligne d’après, un cœur qu’on dévaste.
128 pages seulement, oui, mais on ne peut lire que ligne après ligne, mot après mot, puis relire et se dire que c’est si beau que c’est à peine croyable.
Qu’on nous ait caché ça, qu’on ait mentionné Colette juste en passant.
Peut être que c’était moi le problème, je ne savais pas qu’elle était là, prête à être lue, peut être que je suis la seule à ne pas l’avoir su.
Mais un film avec Keira Knightley est passé par là, et cette expo à la BNF, ces podcasts sur france inter, pas un mais PLUSIEURS..
Nous sommes ces dernières années une multitude à découvrir Colette, ou du moins, enfin la faire entrer dans notre imaginaire. lui accorder ce privilège.
Alors, moi, j’ai saisi Le blé en herbe tout à fait au hasard. Ça aurait pu être Les vrilles de la vigne, ou une nouvelle piochée au hasard dans ce recueil que je possède.
Mais ça a été Le blé en herbe, ce court récit, ces fameuses 128 pages donc, qui nous racontent la fin d’un été, celui de Phil, 16 ans et de son amie d’enfance, Vinca, 15 ans. De leur amour naissant dans ce littoral breton qui regorge de splendeur et illustre les sentiments naissants dans toute leur vivacité et leur mélancolie
Vivacité et mélancolie ça ne s’oppose pas chez Colette. C’est le gris morne d’un ciel qui rugit et sous lequel les amants apprennent à s’aimer, puis déjà à se dire au revoir.
Les sentiments sont exagérés, on en lèverait même les yeux au ciel, que savent-t-il de la vie ces enfants ? On les secouerait !
Mais Colette le raconte si bien que nos soupirs d’agacement se transforment en soupirs d’attendrissement, avant que l’émotion ne finisse définitivement à nous prendre à la gorge
Car le blé en herbe c’est fin, « enlevé » comme on dit, Colette dit les choses graves elle aussi d’un tour de phrase, en passant (tiens !) Elle manie l’ironie, on sent son regard lucide sur ces héros, ces deux jeunes bourgeois qu’elle dépeint tantôt pathétiques tantôt surplombant leurs familles, leur entourage, le monde entier.. ! de ce savoir mystérieux qu’eux deux seuls possèdent.
Mais tout cela ne désamorce pas la gravité qui ressort du texte, et on quitte ce court roman ébahi par la prose, pris dans les filets de l’écriture de Colette comme les crustacés dans ceux de Phil et Vinca.


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